Florian Brunet : « Le football sert de laboratoire à cette société aseptisée qu’on nous propose »
Toujours lors de son passage, ce vendredi soir, dans ‘Girondins Analyse’ (sur la radio locale RIG), Florian Brunet a répondu à plusieurs questions sur le mouvement ultra et le sujet des supporters en général, après avoir évoqué le cas très rocambolesque du déplacement à Nantes dimanche. Mises bout à bout, les analyses de ce leader (parmi d’autres) des Ultramarines, constituent finalement un beau plaidoyer de la ‘cause’… On vous laisse le découvrir. Et apprendre probablement des choses sur toute cette mentalité si particulière.
– Les supporters français peuvent-ils faire bouger les lignes nationalement contre la répression ?
« Au niveau national, on constate que l’ANS (Association Nationale des Supporters, NDLR) travaille intelligemment, en utilisant des moyens encore peu employés avant par les supporters : réseaux sociaux, médias, lobbying effectué auprès de députés, de personnalités, recours juridiques. Il leur manque peut-être un peu l’ancrage ‘tribunes’, avec plus de gros groupes qui les rejoignent, mais nous on les considère et on reste en contact avec tous ceux qui essayent de faire bouger les lignes, d’une manière utile au débat. On a été assez échaudés, à l’époque de la CNU (Coordination Nationale des Ultras, NDLR), dans laquelle on s’était beaucoup impliqués. La CNU essayait d’avoir un état d’esprit ultra, avec des groupes assez représentatifs de notre mouvement, qui se réunissaient lors de colloques, de tables rondes.
On avait vu Rama Yade (qui était alors secrétaire d’État chargée des sports, NLDR) et aussi Frédéric Thiriez (ex dirigeant de la Ligue de Football Professionnel, NDLR), il y avait eu beaucoup de belles promesses prononcées, mais cela n’avait rien donné ; aussi car les inimitiés et les rivalités entre groupes ont malheureusement pris le dessus sur la cause commune. Depuis cet épisode, on préfère mener nos actions localement pour faire reconnaître notre cause, tout en espérant que ça puisse avoir après des répercussions nationales, et en suivant aussi la cause générale, pour laquelle on s’est toujours battus, principalement sur le cas des Ultras parisiens, qui commencent enfin à être réintégrés, depuis peu. On sait qu’en France c’est compliqué tout ça… Il faudrait un changement radical dans la politique menée vis-à-vis des supporters, car plus ça va et plus on nous enlève tout notre bonheur et on vide nos tribunes. La manière dont ils diabolisent les supporters, c’est dramatique, et c’est injustifié, car il n’y a ‘rien’ eu en termes de débordements des groupes de supporters dans notre pays. Mais le football sert de laboratoire à cette société aseptisée qu’on nous propose. Et cette sécurité à outrance depuis 10 ans, est-elle justifiée par rapport au risque réel ? Pour nous, chaque tifo chaque déplacement est un petit combat de gagné pour faire bouger les lignes, petit à petit, et montre ce qu’on fait de bien, notre organisation, notre utilité. Malgré le lobbying de certains pour nous diaboliser. »
– Peut-on mettre tous les supporters, et groupes de supporters (notamment français), au même plan ?
« A l’étranger, dans certains pays, ça se passe très bien. Les Allemands, qui ne sont pourtant pas des enfants de chœur, se déplacent régulièrement à 5 ou 10 000, et où sont les problèmes ? Ici, malgré la répression, on constate que les tribunes survivent et sont importantes dans le paysage du football français, avec des associations qui existent depuis 20 ou 30 ans, sans avoir de drames humains sur la conscience. Et ça, la Ligue et les pouvoirs publics ne peuvent pas forcément en dire autant…
Ce qui s‘est passé hier soir (jeudi, NDLR), à Lyon/Besiktas, et les incidents de l’Euro 2016 en France, avec les Russes, doivent faire réfléchir. Les pouvoirs publics et les instances organisatrices ont été trop vite débordés par des centaines de Russes, parfaitement entraînés, et par une partie des milliers de Turcs, venue juste se battre. Ces graves incidents étaient annoncés, prévisibles, mais on n’y est pas prêt en France ; car la réponse c’est juste d’interdire à 50 Troyens d’aller à Auxerre ! Ils nous font croire qu’ils empêchent des gens sauvages de se déplacer mais ils ne font rien contre les véritables personnes dangereuses. Il faut bien savoir que dans quelques pays, des nébuleuses hooligans n’ayant rien à voir avec nous, Ultras, et se désintéressant du football, sont réellement développées… Leur but est la violence, et ils ont souvent des revendications politiques extrêmes, principalement à l’extrême droite. Ils sont armés, entraînés, mais nous on n’a rien à voir avec eux, c’est un autre monde. C’est évident pourtant, ça saute aux yeux ! L’état paye pourtant des gens qui ne sont pas capables d’analyser ces problématiques en profondeur.
Malgré tout, c’est à nous qu’on vient faire la morale, alors qu’on a déjà prouvé qu’on se tenait bien. Il faudrait quand même remettre les choses dans leur contexte. D’ailleurs, si on revient à Nantes/Bordeaux et à l’arrêté… Si on le lit, ce ne sont que des procès d’intentions faits contre nous et contre les Nantais, parce que quelques uns ‘seraient susceptibles de…’ et ‘on fait…’ par le passé. On le sait qu’on n’est pas des anges, le foot c’est la passion, le folklore, les rivalités, les insultes. Oui, on ne s‘aime pas entre les Nantais et les Bordelais, mais c’est bon… On gère, on canalise, il n’y a jamais eu de débordements, depuis toutes ces années, justifiant tout cela, ces interdictions, cette répression. Mais on veut nous faire croire l’inverse. Encore une fois, il faut donc le dire : le mouvement Ultra n’est pas un problème important de sécurité. Au contraire, nous participons, de façon bénévole et passionnée, à la vie des stades et autour des clubs de foot. Nous, à Bordeaux, on a parfaitement géré « Adieu Lescure », par exemple, et à chaque match, chaque déplacement, on montre que sans nous l’ambiance n’est rien. Encore plus à Gallice, sur certains matches, où si nous ne sommes pas là il n’y a personne. Tout simplement.
(…) Après, je ne veux pas embellir le tableau non plus. Oui, même en France, il y a des mouvements politisés, déconnectés des Ultras, et qui sont portés sur la violence. Ils nous posent un problème à nous aussi, car ils sont aux antipodes de nos valeurs et qu’on nous associe à eux ! Mais on ne peut pas les combattre, ce n’est pas notre rôle. Et en plus, ils sont très largement minoritaires. En tout cas, nous, on sait qu’on fait des choses utiles, qu’on rend le football moins triste, tout en étant responsables, du fait de la légitimité qu’on a acquise pour animer les tribunes. On rend le foot vivant, et en nous attaquant on tue le foot, quelque part, car sans les ultras, sans toute cette mentalité de supporters, ce n’est plus pareil. Les supporters, ils amènent vraiment quelque chose d’indispensable, une âme. Et ça, on l’a tout particulièrement ressenti, dernièrement, lors de l’évènement « Adieu Lescure », où on a montré toute notre cohérence. Globalement, au-delà de nous, le monde ultra se tient bien et sait rester apolitique, tout en étant organisé, actif et responsable pour donner vie aux stades. Mais il faut bien faire le distinguo entre les mouvances ultra et hooligan et ne pas nous attribuer leurs dérives, qui sont à combattre. »
– Les médias doivent-ils parler du combat des supporters ? Doivent-ils s’impliquer ?
« Il serait temps que les médias et le monde du foot ; joueurs et dirigeants ; sortent de leur tour de cristal et se rendent compte de tout ce que je viens de vous dire. Quand on entend Pascal Praud dire qu’il faut interdire tous les déplacements de supporters, mais c’est n’importe quoi… Heureusement que d’autres ; je pense par exemple à Jérôme Rothen ; parlent publiquement pour défendre l’utilité des supporters. Mais c’est très fatigant de voir que les gens ne réfléchissent pas à ce que serait le foot sans public, sans passion. Donc oui, on aimerait bien que le monde du foot et celui des médias s’impliquent un peu pour nous défendre, il serait temps… Et puis qu’on arrête de manipuler l’opinion en faisant croire que nous sommes un danger majeur. En tout cas, nous, on est toujours prêts à expliquer les choses pour défendre notre cause, montrer qu’on n’est pas des sauvages, tout en gardant notre indépendance, notre spontanéité et notre engagement, dont on est fiers. »