P. Rondeau : « Les clubs de L1 sont basés essentiellement sur le trading »
Sur RMC, hier soir, l’économiste du sport Pierre Rondeau a commenté les résultats financiers des clubs de Ligue 1, communiqués par la Direction Nationale du Contrôle de Gestion, pour la saison 2017-18 (21M€ de pertes pour les Girondins de Bordeaux).
Voici ses analyses :
« Ce rapport est totalement public, n’importe qui peut avoir accès aux chiffres, mais j’ai essayé d’en faire une analyse assez sérieuse. Et pour moi, ce qui ressort des chiffres de la DNCG, même si les titres sortis dans la presse sont que le foot français va mieux et que peu de clubs français sont endettés, c’est que… Déjà, il faut séparer le résultat d’exploitation (ce que gagne un club moins tout ce qu’il dépense) et puis le résultat net total. (…) Aujourd’hui, les clubs de Ligue 1 sont basés, essentiellement, sur le trading de joueurs. Ainsi, on a 16 clubs sur 20 qui sont déficitaires sur l’exploitation du spectacle footballistique*. Mais bon, ensuite, au niveau du résultat net, seulement 5 sont déficitaires – alors que tous les autres sont excédentaires – à travers la vente de joueurs. Concrètement, en France, c’est ça.
Et ce qui est intéressant, ensuite, c’est que quand on regarde le résultat net – après impôts, taxes et charges – les 5 clubs les plus riches de France sont : Paris, avec 31M€ de bénéfices ; Angers, 11M€ ; Lyon, 8M€ ; Amiens, 6M€ et Dijon, 5M€. Voici les 5 clubs. Voilà, on en est là, oui. En termes de rentabilité, de lucrativité, d’entreprise – si on considère vraiment le football comme une entreprise -, de marché à part entière, 16 clubs ont une exploitation déficitaire et sont donc totalement dépendants de la vente de joueurs et du trading. La billetterie ne rapporte pas, les droits télés non plus – enfin, pas assez -, donc c’est inquiétant. (…) Normalement, un club serait censé vivre, ou en tout cas pouvoir pérenniser sa comptabilité et son budget, sur ce que lui rapporte concrètement le spectacle footballistique – matches, billetterie, droits télés -, mais là non. 16 clubs de Ligue 1 perdent de l’argent et n’arrivent donc pas à en gagner sur leur production concrète et doivent ensuite compter sur les ventes de joueurs, les transferts et les amortissements – donc le résultat net – pour être bénéficiaires. La première activité d’un club, en théorie, ce devrait être de produire du football, pas de vendre des joueurs, mais là c’est devenu, pour l’immense majorité des clubs français… On change de modèle économique, ça se confirme. Aussi, attention à la dette du résultat d’exploitation, qui augmente de façon assez inquiétante en Ligue 1 : – 101M€ contre – 158M€, +56%. Désormais, un club de foot ne vise plus à produire du football, du spectacle footballistique.
Pour des clubs comme Lille et Marseille, c’est même très, très, très inquiétant au niveau économique, par rapport aux chiffres, avec notamment la masse salariale de l’OM et le business qui marche mal : – 76M€ de résultat d’exploitation, – 78M€ de résultat net, une dette de 77M€. Et en plus, ce sont les chiffres de la saison passée : une bonne saison pour eux, en L1 et en Europe. Après, pour Lille et sa dette de 142M€ – qui a été rachetée, je précise – on peut aussi considérer, d’un point de vue sportif, que ça leur permet d’être 2èmes de L1 actuellement. Alors c’est aussi un investissement de s’endetter, pour pouvoir grandir sportivement. Mais le plus important, pour moi, dans l’ensemble de la Ligue 1, ce n’est pas l’endettement, mais c’est que l’exploitation ne soit pas rentable et qu’il faille passer par la vente de joueurs pour être dans le vert. Ça, c’est inquiétant ; tout comme la dépendance des budgets aux droits télés à 45-50% en moyenne, voire 60 voire 70% pour certains clubs ; car si on n’a pas de bons joueurs à vendre 40-50-60M€ on fait faillite. Et concernant la dépendance aux droits télés, ça va encore augmenter avec le passage à plus d’1 milliard d’euros par an en 2020. Après, normalement, l’essence d’un club de football devrait être de gagner sportivement, pas de faire de l’argent, mais nous sommes aujourd’hui dans une économie qui pousse à faire plus de bénéfices. »
*les 4 clubs de Ligue 1, en 2017-18, qui étaient excédentaires hors ventes de joueurs étaient : Lyon, Strasbourg, Troyes et Amiens.