L.Perpigna – « L’impression qu’une belle page de l’histoire du club s’est écrite ce 9 Mai 2015 »
Un documentaire sur l’adieu au stade Lescure sera diffusé en
avant-première au local des Ultramarines après Bordeaux-Lille samedi. Peux-tu
présenter ce film ?
La cellule photo/vidéos du groupe
s’était préparée pour cet événement : une dizaine de caméras étaient
réparties toute la journée afin de garder de cette journée un souvenir intense.
Tout-au-long de l’année, nous sortons des clips mettant en scène nos
animations. Le projet initial du groupe était donc de monter la journée et la
préparation du tifo. Le travail de « dérushage »
a dû être terrible et l’équipe, emmenée par Léo a effectué un travail colossal. Le
résultat final était intéressant, bien que très long (quatre heures).
Sur cette
base de travail, nous avons décidé d’aller plus loin, et de mettre des mots sur
ces émotions. De faire parler le groupe et ses acteurs. Raconter pour ne pas
oublier.
Nous avons donc réalisé des interviews de personnes, jeunes ou
anciennes, tous Ultramarines, qui ont été impliquées de près ou de loin dans
cet événement. Les 24 personnes ont pu choisir un lieu qui leur tenait à cœur
et racontent la période novembre 2014-Mai 2015.
Le résultat, ce sont 120
minutes bien rythmées qui défilent aussi vite qu’a défilé la journée.
C’est le premier documentaire réalisé par l’association ?
Oui. Nous avions sorti un livre à
l’occasion des 20 ans du groupe en 2007. Nous sortons aussi régulièrement des DVD
avec les images compilées de nos saisons, et ce depuis 1994. Enfin, c’était à
l’époque des VHS que Sylvain copiait avec ses deux magnétoscopes. Bon, on a
bien raté quelques saisons aussi, mais enfin, l’image est quelque chose qui
nous tient à cœur depuis longtemps.
La technologie étant ce qu’elle
est, aujourd’hui, nous devons aussi profiter d’elle afin de montrer ce que nous
faisons, et cet événement sonnait comme une occasion sans égal : nous
devions raconter ce que fut Adieu Lescure. En profondeur, dans sa complexité.
Un voile ne se fabrique pas seul. Il fallait qu’il y ait du scotch, des tâches
de peintures. Il fallait que jeunes et anciens se livrent, sincèrement, et
racontent cet événement. Un jour, des jeunes Ultras qui n’auront pas vécu Adieu
Lescure le découvriront ainsi.
Pour revenir à l’évènement en lui-même, pourquoi avoir choisi
d’organiser une journée entière consacrée à cet évènement et ne pas avoir
préféré une animation tribune uniquement ? Comment l’idée a-t-elle germé dans
l’esprit du groupe (les coulisses de la décision) ?
Cet événement, nous l’avions
largement anticipé. Dès la sortie du calendrier en juin 2014, nous nous étions
projetés dans l’avenir. Nous avons alors réfléchi, un peu chacun de notre côté
sur ce que nous aurions aimé faire de cet événement, et nous avons tout mis en
commun à la fin de l’automne 2014.
Il y avait pas mal de bazar ce jour-là
sur la table; des idées de tifo surtout. Beaucoup d’idées de tifo.
L’idée d’un cortège nous est venue
assez naturellement aussi. En fait, il y avait un précédent à cela: lors de la
saison du titre, une initiative de faire des « défilés » depuis la
Place Pey Berland jusqu’à Lescure avait été lancée par des jeunes supporters
bordelais « Bordeaux fête les girondins »; ils avaient pris un stop par
la mairie -pour des raisons de sécurité- et étaient venus nous voir. Nous
avions ainsi appuyé leur initiative et avions géré plusieurs cortèges, dont le
plus gros avait rassemblé 2000 personnes (Bordeaux-Monaco).
Il y avait aussi un croquis fait
à la vite, c’était la place des Quinconces. Romain nous a expliqué son idée de
« village FCGB ». Je dois avouer l’avoir un peu charrié « non, mais toujours plus ».
Cependant, ces différents projets se mariaient plutôt bien. Il nous fallait un
point de départ pour le cortège, ce « village » était donc une bonne
opportunité.
Qui vous a apporté réellement de l’aide dans les démarches ? Quel a été
le rôle du Club ? Comment les pouvoirs publics ont-ils perçu l’idée ?
Nous avons par la suite pondu un
programme que nous avons présenté au directeur sécurité du club, David Lafarge.
Il a été très enthousiaste. Et à partir de là, il ne nous a plus lâché une
seule seconde, accomplissant un travail pour cet événement que peu de personnes
peuvent imaginer.
Nous avons contacté la mairie de
Bordeaux, entamé les négociations. La place des Quinconces est devenue la place
de la République, nous avons retourné la ville afin de trouver des hangars pour
commencer à préparer le tifo. Ce dernier a commencé au Bassin à Flot, mais ce
n’était que temporaire. Par la suite, nous avons eu de grosses difficultés
logistiques. Nous avions besoin d’un hangar fonctionnel, et malgré nos appels
répétés, la Mairie de Bordeaux ne nous a rien trouvé.
En février 2015, 3 mois
avant, nous étions en grande difficulté. Nous avons passé des appels
désespérés. Un article est sorti dans 20 minutes, et un soir de match, alors
que je me trouvais près de la table, un jeune homme est passé en coup de vent,
m’a communiqué un numéro de téléphone « Le
maire de St Jean d’Illac a vu ton tweet, il veut te parler ». Et le
jeune homme en question a disparu (nous ne l’avons donc jamais remercié).
Plus tard, avec Pierre (NDLR : le président des UB87) nous
nous retrouvions à signer une charte à la mairie de St Jean d’Illac pour un
partenariat. On leur doit vraiment beaucoup sur ce coup-là. Bon ce fut toutefois
un moment étrange, qui méritent que l’on s’y attarde. Nous pensions être reçus
dans un bureau, mais en réalité la mairie avait sorti le grand jeu : petit
fours, sono, pupitre, le stylo posé sur la feuille, les journalistes…
Y’avait
tous les politiques de la ville, on a vu débouler des représentants de la
mairie de Bordeaux (la gueule qu’on a tiré avec Pierre), puis Triaud… Y’avait
tout le gratin, c’était assez effrayant. Heureusement, Triaud qui a pris la
parole a détendu l’ambiance : « Je
salue votre initiative, et surtout votre courage. La dernière fois qu’on leur a
prêté un lieu, ils y ont foutu le feu …» Tous les gens portaient la cravate, avec
Pierre on était plus en mode « Quechua » (rires).
Par la suite, ça a été un
marathon de réunions pour avoir toutes les autorisations. Ça a été long, très
long. Les autorisations ont tardé à arriver. Le cortège c’était compliqué, la
République y’avait l’hôpital à côté. Je pense qu’on a cependant été persuasifs
quant à notre capacité à gérer cet événement. Je pense que David Lafarge a
aussi fait un travail de dingue, et vu que c’est un interlocuteur très respecté
du côté de la pref, ça les a rassurés.
Quand ils nous ont demandé combien de
personnes allions nous rassembler, nous avons répondu très sereinement « Oh pas beaucoup. Quelques centaines. 1500 au
plus fort de la journée ». Les chiffres officiels de la préfecture
concernant le cortège seront de 10 500 personnes. Bon on avait oublié un
zéro mais sinon c’était ça.
Avez-vous été surpris par l’élan populaire autour du projet et
l’adhésion que cela a suscité lorsque vous avez rendu public cette idée ?
Oui. C’est un événement qui
toutefois aurait pu se dérouler en catimini. Mais le bureau du groupe a été
plutôt très performant. Un nom d’événement qui claque «Adieu Lescure »,
une bonne typo. Des produits dérivés qui sortent à temps (cartes postales, puis
écharpes), du coup, ça a créé une attente chez les gens.
Evidemment l’attente
était réelle, l’émotion n’était pas feinte, mais nous avons en quelque sorte aidé
les gens à expulser cette émotion. Quitter un stade comme le nôtre nous renvoie
inéluctablement à notre relation intime et personnelle avec ce dernier. Notre
plus grande réussite aura été de transformer cette émotion individuelle forte
en célébration collective.
Cette journée a failli ne jamais voir le jour en raison d’une décision
de la LFP de décaler le match au dimanche 14H. Raconte-nous les coulisses de ce
moment-là et de ce qui en a suivi.
Ce moment est crucial. Nous avons
pris un coup de massue. Les téléphones ont sonné une première fois, puis n’ont
plus arrêté de sonner. Florian a appelé Triaud, la discussion a été tendue. Mais
il mené une habile négociation, forte et efficace.
Presque immédiatement,
portés et transcendés par la rage, nous écrivions un communiqué, convoquions
une conférence de presse. C’était un acte désespéré. Mais nous étions tellement
en colère que l’assurance dont nous avons fait preuve était réelle. Nous étions
décidés à gagner ce combat. Coûte que coûte. Nous étions prêts à tout. Et, la
plus belle victoire d’Adieu Lescure, c’est certainement celle-là. La
mobilisation des supporters girondins a été exceptionnelle.
Nous avons reçu
l’appui de tous, sans cela, il est sûr que jamais nous n’aurions fait infléchir
la Ligue. Les supporters des girondins ont fait à ce moment le plus beau cadeau
qu’ils pouvaient faire à ce lieu qu’ils aiment tant : se battre pour lui,
alors que c’était presque un combat perdu d’avance. Ça a été une mise à
l’épreuve cet épisode.
Combien de bénévoles cette journée a-t-elle mobilisé (sur la journée en
elle-même) ?
C’est une question à laquelle je
répondrai sans hésiter 35 000. Car si le montage de la République, la
préparation du tifo, et tout ce que nous avons fait a demandé beaucoup de main
d’œuvre de la part d’un noyau dur fort et hyper organisé, c’est tout un stade
qui a joué le jeu et qui nous a aidé que ce soit dans les tifos, dans
l’ambiance… Les témoignages d’affection, les propositions de coup de main ont
été incessantes. Ce 09 Mai, nous étions tous Ultra’.
A cette occasion, des générations d’ultra bordelais se sont croisées,
mêlées. Une expérience unique dans l’histoire du groupe ?
Oui, c’est d’ailleurs ce que nous
avons tenté de faire ressortir dans notre documentaire. Les équipes étaient mélangées et dans chacune, il y avait
des Ultramarines de la première heure, et des jeunes nouveaux. La cohésion
s’est faite d’elle-même, naturellement.
La réalisation de ce documentaire
elle-même a aussi été l’occasion d’un boulot intergénérationnel puisque avec
Léo, et Romain.G, principaux artisans du film, nous sommes de trois générations
« Ultra » différentes.
Ce dernier match de l’Histoire à Lescure, c’est ton meilleur souvenir
en tant que meneur du VS ?
Non, pas du tout. Et pour cause.
Cette journée a été un marathon. J’étais, comme mes camarades, épuisé
moralement et psychologiquement avant même le jour du match. Le jour du match,
ce sont les nerfs qui nous ont tenus. Ca été un peu « le jour le plus
long ».
Une fois passé la prépa, y’avait la république. Puis le cortège.
Puis le tifo. Puis l’ambiance à assurer. Puis le tifo de la mi-temps, celui de
la fin… Et histoire d’enfoncer le clou, le concert. Et la pression au-dessus de
nos épaules : on avait fait décaler le jour du match, ce n’était pas pour
se ridiculiser avec un tifo moisi et une fête ratée.
Qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as eu en main le micro de Lescure
entre les mains ?
On m’a souvent posé cette
question, et bizarrement, rien. Ça ne m’a absolument pas marqué. Je me souviens
juste d’avoir demandé au stade d’applaudir le Virage ; c’était pour moi un
symbole fort. A ce sujet, j’étais un peu dégoûté car j’aurai du retourner sur
la pelouse à la mi-temps, afin d’organiser le décompte du lancer des rouleaux.
On avait commandé 32 000 serpentins, et ils ont presque tous été bloqués
en douane. Du coup, on ne l’a fait que sur le Virage Sud. J’imaginais déjà,
avec les proximités des tribunes de face de d’honneur, la pelouse ensevelie par
les rouleaux, et moi, tout fier, m’échappant mort de rire comme un gamin qui
avait fait une connerie, les laissant ratisser le terrain. (rires)
Lescure s’embrasera une dernière fois avec Marc Planus qui, torche en
main, salue le VS. Quel symbole !
Ouais, c’est un fabuleux
pied-de-nez à toutes les lois, toute la répression que nous subissons. Ça a été
un message au monde du football : « Oui
on peut être footballeur professionnel et passer sa vie dans le même club et
finir sa carrière en allumant un fumigène sur la pelouse » C’était une
peu la flamme de la passion cette torche. Pour ne pas dire de l’insoumission.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette journée ?
Un regard ému. Avec tout le recul
possible, et toute l’humilité du monde, j’ai l’impression qu’une belle page de
l’histoire du club s’est écrite ce 9 Mai 2015. Et que cette date a rejoint les
dates clés de son histoire, qui elles, sont essentiellement sportives.
Adieu Lescure, et c’est encore
quelque chose que nous avons tenté de mettre en avant dans le documentaire,
c’est une aventure humaine incroyable. Une épreuve, aussi. Ça n’a pas été une
partie de plaisir, j’insiste car il est difficile de se rendre compte à quel
point ça a été compliqué. Mais la plus belle des récompenses, c’est sans aucun
doute d’avoir vu tant de gens heureux ce jour-là. Tant de sourires, de larmes,
de gratitudes…
Quand on voit des figures du club
(et du football français par ailleurs) les larmes aux yeux sur l’estrade de la
République, mais aussi des journalistes aux pieds de la scène en larmes, on
prend conscience de la profondeur que peut prendre un club dans le cœur des
siens. De tous les siens.
Dans le livre-photo de cette journée, tu as écris « Partir c’est
renaître » ? Toujours en accord avec ça à Gallice ?
Oui. Il nous fallait renaître.
Adieu Lescure, c’est un moment particulier de nos vies, mais c’est du passé.
C’est d’ailleurs pour ça que le documentaire ne s’arrête pas à ce jour. Le
dernier quart d’heure est une projection dans l’avenir. Nous ne voulons pas vivre
éternellement sur cette journée-là. C’est la raison pour laquelle nous ne
voulons plus chanter le chant mythique. Nous devons avancer. Ne pas oublier,
non, mais avancer. Et c’est dur d’avancer quand on a dans le rétroviseur du
bonheur en barre.
Alors oui, il faut renaître. Il
faut que la jeunesse reprenne le flambeau. Qu’elle se forge ses premiers
souvenirs dans ce nouveau stade, qu’elle accompagne le club. Il ne faut pas
oublier que Lescure n’est pas l’objet de notre passion en tant que supporters.
L’objet de notre passion, ce sont
les Girondins de Bordeaux, et nous devons les aimer partout avec la même force.
A Lescure ou à Gallice, au sommet de l’Europe ou dans les bas-fonds du
championnat. »
Un gros merci à Laurent pour cette interview et pour la confiance et l’amitié qu’il nous a témoigné.
Nous vous informons qu’une projection est organisée au local des Ultramarines samedi 3 décembre à 23h00.
L’adresse du local sera communiquée à la table ultra lors du match face au LOSC dans le Virage Sud.