Penot : « Cet ethnocentrisme européen qui ne s’arrête pas au terrain d’ailleurs… »
» La nouvelle polémique sur le footballeur africain – comme on parlerait de l’homme africain pas encore entré dans l’histoire -, n’est pas née de l’enregistrement caché d’une conversation de la DTN sur la fameuse histoire des quotas. Elle n’émane pas non plus d’un théoricien de salon (Finkelkraut), d’un « penseur » de cours d’école calfeutré dans ses certitudes de l’époque vieille France ironisant sur la couleur black-black-black de l’équipe de France. Non, les propos de Willy Sagnol, lors d’un face à face avec les lecteurs du journal Sud-Ouest, sont d’un autre calibre, bien plus profonds tant ils résument, à leur manière, les rapports Nord-sud dans le foot.
Avant de prendre position, j’ai d’abord écouté l’enregistrement de cette longue conversation. C’était nécessaire pour bien me donner une idée du contexte, comprendre de possibles dérapages parfois conditionnés par des questions tendancieuses. D’abord, il faut lever toute ambiguïté sur un premier sujet : sa volonté de recruter à l’avenir moins d’Africains. Sagnol a l’honnêteté de dire ce que la plupart des entraîneurs pense. Et ce que les joueurs eux-mêmes savent mieux que quiconque. Combien d’entre eux ont accepté des transferts en mettant de côté leur sélection ? Les ténors du barreau comme Didier Drogba ou Samuel Eto’o n’ont pas connu ce genre de soucis mais certains compatriotes ont découvert que des portes se fermeraient sur leurs ambitions personnelles s’ils n’acceptaient pas de se placer en retrait de la République. Après tout, Sagnol est comptable des résultats de son club. Il n’y a donc pas de controverse à mes yeux dans cette sortie, ni de caractère sectaire ou discriminatoire.
La suite est malheureusement moins glorieuse pour l’ancien international…
En résumé, les Africains seraient plus physiques mais moins intelligents, moins techniques, moins disciplinés si j’ai bien saisi le raisonnement. Mais peut-être que je n’ai pas tout compris… S’est-il vraiment rendu compte de la portée de ses mots alors qu’il n’a pas voulu les préciser, hier, ou même les commenter ? Sagnol aurait du exprimer des regrets sur un raccourci dangereux. Pour participer souvent à des émissions télé, il m’arrive aussi de réduire mes raisonnements et de me sentir éloigné de mes aspirations premières. Je ne connais pas spécialement Sagnol et je ne veux pas m’ériger en procureur. J’en connais qui porteront ce costume bien mieux que moi. Mais en refusant de revenir sur le fond (c’est ce qui m’intéresse), il a laissé le champ libre à toutes les interprétations. Et c’est bien là le plus surprenant : comment ne voit-il pas dans son raccourci saisissant un grave dérapage ? Les termes employés (l’Africain, en gros, c’est du pas cher et costaud…) ont assurément de quoi heurter au regard de notre passé colonial et de la montée en puissance des extrémismes. L’enferment de l’être humain dans sa couleur de peau ne peut que blesser les gens visés.
Sagnol pourrait demander leurs avis à certains de ses anciens camarades venus du continent qui ne possèdent, entre parenthèse, pas tous les mêmes caractéristiques physiques… Makélélé n’est pas Desailly, il me semble. En 2014, les stéréotypes restent bien ancrés dans ce sport : il n’est pas le seul à entretenir ces thèses sans se rendre compte de l’effet dévastateur que cela entraîne. Le sport symbole d’ouverture ou de partage ? On en est loin et Sagnol ne doit pas devenir le mouton du sacrifice. Cette polémique peut lui servir peut-être à revisiter notre histoire commune. Et il comprendra alors pourquoi ses propos ont suscité autant de réactions, parfois haineuses. Pourquoi ils ne pouvaient que choquer. Je ne compte plus les personnes qui m’ont interpellé sur Twitter. Sagnol ne doit pas s’enfermer dans sa tour d’Ivoire et refuser d’entendre ces critiques. Tenez, il pourra même demander à Hervé Renard si ses Zambiens vainqueurs de la CAN 2012 étaient des monstres athlétiques ou des techniciens filiformes. Pour rappel, l’Afrique n’est pas une et indivisible. Sagnol parle d’ailleurs du joueur africain et du joueur nordique comme si on pouvait ainsi affiner les analyses sur les Européens ou sur les Africains. Il faudra rappeler à Sagnol que l’Africain du Nord n’a aucun rapport physique, même pigmentaire, avec celui du Sud. Que les Éthiopiens ou les Kenyans sont très rarement considérés comme des monstres de puissance physique… Mais ces réflexes de langage ne témoignent pas toujours, même s’ils le peuvent, d’un fond raciste. Ils sont plus l’émanation du niveau moyen des conversations entendues dans notre monde du ballon rond. Et ils traduisent surtout la méconnaissance, la présence de clichés dangereux qu’il nous faut absolument combattre. C’était aussi le sens de mon blog. J’ai beaucoup écrit ici sur cet ethnocentrisme européen qui ne s’arrête pas au terrain d’ailleurs…
A Sagnol d’y réfléchir. Car il y a des sujets sur lesquels on ne doit laisser aucune place à interprétation. Et si cette polémique peut l’aider à s’éloigner des préjugés qu’il a renforcé par des propos inadmissibles… «