Daniel Riolo : « De plus en plus de gens à Bordeaux se détournent du foot »
Lors de l’édition d’hier soir de ‘L’After Foot‘, sur RMC, l’éditorialiste Daniel Riolo a développé un très long et intéressant point de vue sur la perte d’identité des Girondins de Bordeaux, surtout sous l’actionnariat des fonds d’investissements américains, qui fait passer le sportif au second plan et coupe le club de son public en ne permettant pas d’avoir un projet lisible :
« Il parait que c’est toujours difficile de reprendre début janvier, donc je me suis fait à cette idée véhiculée depuis des années, alors je ne m’attends jamais à rien dans ce premier weekend de l’année, même quand on se fait chier ; si ce n’est à des surprises en Coupe, avec les petits qui battent les gros. Mais ça arrive de moins en moins souvent et cette petite excitation n’était pas pour ce soir. Le Mans n’a rien tenté, surtout en seconde période : zéro occasion, après avoir été à peine mieux en première période. Bordeaux s’est contenté de son péno et j’oublie même le deuxième but car il arrive dans les arrêts de jeu et ne sert plus à rien. Donc voilà. Et le stade était vide… Il faudrait en parler de ça, car ça commence à devenir une vraie habitude. Je ne pensais pas qu’il y aurait 30 000 personnes, mais de là à en voir 5 000 (8 870 selon Sud Ouest, NDLR)… En fait, on voit surtout la continuité d’un problème de plus en plus récurrent à Bordeaux : de plus en plus de gens se détournent du foot.
Après, est-ce que c’est dû à l’affiche contre une Ligue 2, seulement ? Est-ce que c’est dû à l’équipe ? Est-ce que c’est dû à la direction en place ; qui pourtant a mis en avant une volonté de le remplir ce stade et en a même fait un argument marketing en développant des idées absolument fumeuses qui visiblement ne marchent pas du tout ? La nouvelle direction devrait donc, déjà, se poser des questions là-dessus… Je suis désolé de parler d’autres problèmes que le foot, mais le match ça sert à rien d’en parler ; à moins que vous ayez beaucoup de choses à en dire ; car Bordeaux s’est qualifié en faisant un match très moyen et devant une affluence minimale. Voilà : au-revoir, merci ! (…) Voilà où on en est dans notre football français… Les gens s’en foutent et on avait 5 000 personnes au stade à Bordeaux, ce soir. La France, avec l’Angleterre, c’est le pays où la coupe nationale est une tradition, et là les supporters du petit pensent juste à se préparer pour jouer leur maintien en Ligue 2, quand les supporters du club de Ligue 1 se disent juste que c’est dur de reprendre en janvier. Du coup, si les supporters s’en foutent, bah les joueurs s’en foutent aussi. Voilà l’état de notre foot. Du côté du Mans, ils se contentent de la défaite et vont même aller sabrer le champagne car ils n’ont perdu que 2-0 à Bordeaux…
(…) Après, pour en revenir à l’affluence du soir à Bordeaux, c’est vrai que Bordeaux, c’est la tradition : il faut une équipe qui gagne pour que le stade soit garni. Mais là, on est quand même sur une tendance… ça va plus loin que cette habitude. Il y a un problème de fond avec la direction. En plus, le souci entre la direction et les supporters, à la limite, ça n’empêche pas ces supporters de venir, mais les gens à Bordeaux qui venaient à l’occasion peuvent justement se désintéresser, car tout est flou au niveau de la direction et on ne sait pas vraiment qui représente ce club, qui le dirige, où il va, quelle est son identité. Alors les gens qui venaient à l’occasion peuvent de détourner, tout simplement, se dire qu’il y a peut-être mieux à faire à Bordeaux et que, vu qu’il se passe rien au club… Les supporters ont quand même raison de se battre, et on soutient les Ultras dans ce combat-là, mais là Bordeaux ne donne pas envie. Et Bordeaux ça met même, aujourd’hui, plus en avant l’extrasportif que le sportif…
Quand on dit que l’âme d’un club ce sont ses supporters, j’ai surtout envie de dire que c’est ce qui reste quand il n’y a plus rien, en fait. Car l’âme d’un club ne devrait pas être seulement ses supporters. Et à Bordeaux, si on se rappelle de l’histoire de ce club, son âme n’était pas que les supporters, c’était l’institution, surtout dans les années 80 avec Claude Bez et Alain Giresse. Il y avait également le public bordelais, mais c’était un ensemble. Et aujourd’hui, quand il ne reste plus que les supporters les plus fidèles, car la direction est opaque, que ce sont des gens très loin ou pas Bordelais de base – pour ceux qui sont présents -, et bien il n’y a plus d’identification. C’est juste de la gestion du club, avec en plus des joueurs qui n’incarnent plus Bordeaux. Si les supporters se sentent si seuls pour être l’âme du club, c’est que plein de choses ont disparu, et ça ça fait très mal à Bordeaux. Mais en ce moment, il y a ce genre de souffrance dans beaucoup de clubs, même à l’étranger, comme à la Roma avec aussi des Américains qui se succèdent et des gens qui n’en veulent plus.
Au moins, à Bordeaux, avec M6 et Nicolas de Tavernost plus le président Jean-Louis Triaud, les supporters avaient l’impression d’une incarnation et pouvaient parler à quelqu’un ; même si Triaud et Tavernost ne les rassuraient pas tout le temps. Mais là, les supporters n’ont pas ces hommes-là. Enfin, si, il y en a un, nouveau, Frédéric Longuépée, mais il est décrié et les Bordelais n’en veulent pas. Et tout ça, c’est un vrai problème, comme le fait que les nouveaux investisseurs et dirigeants qui viennent ne connaissent pas le football. C’est vraiment compliqué cette évolution et ces questions d’incarnation et désincarnation des clubs. Après, il y a aussi un contre-exemple : Saint-Étienne, où direction et supporters ne se supportent plus et ne se parlent plus non plus alors qu’il n’y a pourtant que des supporters stéphanois dans le lot, donc le club devrait être incarné comme jamais. Donc c’est vraiment dur et il faudrait trouver de nouveaux modes de direction des clubs ; entre compétences, sentiments, connaissances du foot et gestion financière – business ; pour écrire des histoires ensemble, des formules nouvelles sur comment s’entourer et bien choisir qui gère les clubs. En tout cas, de plus en plus de supporters, et pas qu’en France, sont perdus par rapport à ce qu’est en train de devenir leur club et le football ; tout simplement. Et le vrai souci de Bordeaux, qui fait qu’on a parlé de beaucoup de choses dans la discussion en déviant, c’est qu’ils ne savent pas où ils vont et quel est leur projet. Bordeaux est devenu un club abstrait. »
Retranscription faite par nos soins