Perri : « Un investisseur gère un club comme une entreprise, à long terme »
Pascal Perri, économiste du sport, a un discours différent par rapport à celui de la plupart de ses collègues (tantôt pessimistes ou inquiets, voire critiques) concernant les nouveaux investisseurs du football français venus du monde de la finance et plus généralement de l’entreprise.
Sur RMC, il présentait dernièrement ses analyses… positives :
« L’idée, c’est de rappeler qu’un club de football c’est une entreprise. Et dans une entreprise il faut de l’investissement. Or il en manque… On parle des droits télés, mais sauf si on veut jouer entre nous et juste dire qu’il y a plus d’argent que dans la Ligue 1 d’il y a 15 ans il faut se mesurer aux autres championnats, car c’est un jeu et une concurrence internationale. Et moi j’observe ce que font les autres, et en particulier les Anglais, où les clubs des quatre premières divisions – qui sont professionnelles – sont possédés par des investisseurs qui ont choisi d’aller sur ce marché, cette industrie du sport, en construisant des stades, puis des ensembles immobiliers. Et la plupart du temps ce sont des entreprises très profitables. Alors, il faut renforcer les fonds propres des clubs français, très dépendants des droits télés – au passage bien inférieurs à ceux des autres grands championnats, même si ça progresse grâce à la Ligue de Football Professionnel et au remarquable travail de son dirigeant Didier Quillot -…
(…) Les pistes, c’est d’abord le développement de la billetterie, qui est là une ressource autonome, même si indexée sur les résultats, avec un travail à faire sur l’accueil, le confort etc. Avec une billetterie, oui, on peut faire plus de 100 millions d’euros. Les Anglais le font, même si le prix des places est cher, en rapport avec le spectacle, ce même dans les divisions inférieures. Après, il y a un débat sur la culture, l’identification… La France n’est peut-être pas un grand pays de football, mais aussi on ne fait pas tout ce qu’on peut pour attirer les spectateurs. (…) Aujourd’hui, si des investisseurs étrangers viennent dans le foot français, c’est car il reste le dernier en Europe, dans les grands championnats, où on peut avoir un club pour un prix raisonnable. 100M€ pour le rachat en cours de Nice, par exemple, ça semble élevé pour un club dont les résultats sont moyens, mais il y a une histoire, une région, de l’argent, car le bassin de vie et d’économie il est dynamique autour de Nice. Et 100M€, ça reste très bon marché en comparaison aux prix des clubs anglais.
Aussi, au niveau de la politique, un club comme Lille, avec Gérard Lopez, a un trading remarquable ainsi qu’une bonne stratégie de billetterie. Le trading, ça ne fait peut-être pas rêver les gens, mais ça pourrait permettre de réaliser des bénéfices, d’investir ailleurs ensuite, et notamment sur de meilleurs joueurs. Les bénéfices ne sont pas tous les ans non plus, et Monaco est un peu un écosystème à part, même si ça a beaucoup de qualités. Ce que je veux dire, surtout, c’est qu’un investisseur aura tendance à gérer un club comme une entreprise : à très long terme. Tous ceux qui pensent que les investisseurs se comportent comme des prédateurs, viennent faire un coup, prendre de l’argent et repartir se trompent. Dans les grands championnats, notamment celui d’Angleterre, on voit des actionnaires stables, qui investissent sur de l’immobilier, sur l’accueil du public, en ayant des logiques de trading plutôt vertueuses. Et même si, en effet, leurs droits télés sont très supérieurs à ceux en France, ils sont surtout une vision et une politique de long terme. Moi, je défends cette idée-là depuis longtemps : le football est une activité économique à part entière et l’investisseur arrivant a besoin de visibilité pour réussir à atteindre – et ça en général il y arrive – les objectifs qu’il se fixe.
Pour moi, il faut aussi basculer les mentalités, notamment à la Ligue et à la direction nationale du contrôle de gestion, être moins sourcilleux, pointilleux, arrêter avec la vision de bon père de famille et l’entresoi. Les investisseurs qui arrivent dans le football n’ont aucun intérêt à laisser filer des déficits, car ils viennent pour gagner de l’argent. En venant à Arsenal, Monsieur Krœnke avait dit clairement : ‘Je ne suis pas là pour gagner des championnats, mais pour gagner de l’argent’. Alors on doit les accueillir non pas comme des prédateurs, mais comme des investisseurs qui vont consolider les fonds propres des clubs de football français. Il est faux de dire qu’on ne gagne pas d’argent dans le foot français, même si dans les conditions actuelles c’est très compliqué. La rente audiovisuelle de la hausse des droits télés a été intégralement captée par les joueurs, qui ont augmenté leurs salaires, mais c’est car le football français est mal gouverné par les dirigeants des entreprises que sont les clubs. S’ils acceptent de laisse filer l’argent aux joueurs et aux agents, c’est qu’ils ont laissé filer le pouvoir. J’entends qu’il faut garder les joueurs, mais ça passe par une gestion forte, et pas à la papa, en se contentant de la perfusion des droits télés. Je crois qu’on en fait on ne perçoit toujours pas le football comme une activité économique à part entière. Mais ça, c’est le produit d’une longue histoire.
Paris et Lyon ont des stratégies d’entreprises qui sont à suivre, Lille aussi, comme Bordeaux et bientôt Nice j’espère, avec Jim Ratcliffe qui est la première fortune anglaise. Monaco, c’est différent, un exemple à part. J’espère que les autres clubs vont s’en inspirer ; des autres clubs que j’ai cités. De l’argent, il n’y en a pas trop dans le foot, et surtout en France où il en maque. Un championnat où, de toute façon, toutes les entreprises ne gagnent pas d’argent, il est en danger. Et le souci de la Ligue 1 c’est ce déséquilibre compétitif. On sait qu’au PSG, le Qatar est venu pour faire de la soft diplomatie, mais pas du cash ; en revanche à Lyon Monsieur Aulas a bâti un projet de long terme, comme Monsieur Ratcliffe le fera à Nice j’espère. De l’autre côté, à l’inverse, trop de clubs sont dans la logique du samedi qui suit, de se battre pour continuer juste à jouer un rôle relativement secondaire. Le foot n’est, en France, et par culture, pas considéré comme un marché à part entière et les gens siégeant aux conseils d’administrations des grandes entreprises nationales du CAC 40 – pensant à dégager des profits et à assurer une pérennité – ne pensent pas à s’y associer. Pour moi, c’est un tort, car le football est le sport le plus populaire et un vecteur de communication très efficace ; même pour une entreprise d’un secteur plus associé au luxe comme le vin ou le champagne. »