Sébastien Louis : « Être ultramarine, ce n’est pas uniquement aller au stade et en déplacement »
Ce 9 novembre, le groupe de supporters des Ultramarines Bordeaux 87 organisait une conférence-débat sur le monde ultra et sa culture, dont les UB 87 sont un des représentants majeurs et historiques en France.
En marge de cet événement, le sociologue, historien et auteur spécialisé sur le sujet, Sébastien Louis, qui était invité de ce débat par les Ultras, accorde un entretien à la revue Far Ouest. Il y présente le contexte actuel autour des ultras en général, avec l’exemple précis des Ultramarines.
« À travers les Girondins de Bordeaux et le mouvement Ultra, on a une mixité sociale qui est très, très forte, et particulièrement dans la tribune des Ultras, où on va retrouver la jeunesse de Bordeaux, et donc on a aussi bien des jeunes des quartiers populaires que ceux des quartiers huppés. La spécificité des ultras à Bordeaux, c’est tout simplement leur engagement antiraciste, on peut le dire, mais ils sont aussi, et comme d’autres groupes ultra, engagés sur le plan social, c’est-à-dire qu’ils participent à des maraudes et récoltent de l’argent pour des bonnes actions, sortant ainsi de leur rôle de supporters de football. Car être ultramarine ce n’est pas uniquement aller au stade et aller en déplacement, c’est participer à une vie de groupe.
(…) Le football professionnel, ce n’est plus un sport, c’est une industrie du loisir qui rapporte des millions. La preuve, si un actionnaire américain investit aux Girondins de Bordeaux ce n’est pas par intérêt mais bien car ça représente une marque que l’on peut commercialiser et revendre par la suite en faisant un bénéfice. Et donc, par rapport à ça, les Ultras sont un peu en porte-à-faux, car ils veulent être les défenseurs de leur club – et ils le sont de par toutes leurs actions au quotidien qui le démontrent -, mais d’un autre côté ils espèrent tous que leur club va remporter des victoires sur le terrain. Mais… comment remporter des victoires quand, en face, il y a des acteurs étatiques comme le Qatar qui rachète le PSG et qui est capable d’investir des centaines de millions d’euros… ? Ainsi, être ultra, c’est donc être en contradiction avec ses idéaux de pureté. On voudrait un football populaire qui n’existe plus et a disparu depuis longtemps.
(…) Les supporters ultras sont les syndicalistes de leur club de football et ils font le lien entre la répression qu’ils subissent et l’industrialisation de ce sport. Car on veut écarter ces supporters, qui sont trop revendicatifs, mais en même temps les clubs ils désirent une ambiance survoltée dans les stades, parce que les gens ne vont plus au stade pour voir un match de football – car on le voit bien mieux à la télé – mais pour vivre toute une expérience. Et donc, dans cette expérience, les Ultras mettent une atmosphère incroyable, et ça de manière désintéressée et gratuite. Sauf que les clubs veulent le beurre et puis l’argent du beurre, c’est-à-dire avoir des supporters mais qui ne revendiquent pas, et qui ne contestent pas. Alors les ultras, ils profitent de leur pouvoir, qui est grand, celui de coordonner toute une tribune. Et quand on va coordonner toute une tribune derrière un but, on a là véritablement une scène très importante, qui peut en faire passer des messages et s’opposer, justement, à certaines dérives.
Tout ça, c’est fondamental, car à travers leur organisation il n’y a que les Ultras qui arrivent à ça, à faire passer ces messages. À Bordeaux, depuis 31 ans, on a quand même un mouvement ultra bien organisé, et qui compte 800 membres, donc ça c’est assez phénoménal et peu de culture jeunes peuvent se targuer d’avoir un tel succès. À l’heure actuelle, le phénomène ultra a dépassé les frontières de l’Europe et s’étend même dans le monde entier, de la Colombie à l’Australie en passant par la Malaisie, le Maghreb et la Palestine. Donc le mouvement Ultra, il est vraiment à l’échelle planétaire, et peu de mouvements de jeunesse ont connu un tel succès. »